Faire.

Je suis une femme blanche, de 33 ans, mère de deux enfants, en couple hétérosexuel. Je me revendique du féminisme, je me suis nourrie de plusieurs livres et œuvres de tout format sur le sujet et d’échanges avec des personnes d’horizons divers. Je n’ai pas tout lu, loin de là. Probablement, beaucoup de sujets m’échappent encore. On ne peut pas tout savoir, tout connaître. Mais je suis de nature empathique et j’essaye autant que possible de me mettre à la place des autres et d’essayer de les comprendre.

Depuis plus d’un an et demi, je me suis investie dans une association qui a beaucoup fait pour moi. C’est une équipe que j’aime, très soutenante, avec beaucoup d’entraide. Je m’y suis rapidement sentie acceptée et incluse. J’ai pu trouver ma place. L’activité dans cette association est très intense. Je prends sur mon temps de travail (je suis à mon compte) en moyenne deux jours par semaine pour participer au développement de cette association. C’est beaucoup. Ça vaut le coup car je reçois beaucoup en retour. J’aime savoir que grâce à ce temps bénévole, additionné aux autres temps bénévoles, on peut faire exister un projet tel que celui-ci. J’aime voir les sourires sur les visages des personnes, recevoir les remerciements pour l’aide apportée, voir les personnes impressionnées de l’énergie déployée et des résultats obtenus.

Tout ça, ça m’aide dans les moments difficiles. Malheureusement, ils ont été nombreux. La difficulté de financer une association dans un milieu rural où les besoins sont grands et les portefeuilles peu garnis. La difficulté face à des procédures judiciaires violentes et chronophages. La difficulté de la gestion associative et tout ce qu’elle implique en plus de tout le reste : comptabilité, facturation, recherche de subventions, dossiers de financement, accueil, présentation de l’association lors d’évènements extérieurs, lien avec les associations locales, communication (site internet, newsletter, réseaux sociaux, affiches, flyers…), gestion de projet pour l’organisation de tous les évènements, gestion des inscriptions, des désinscriptions de dernière minute, gestion et maintenance des outils informatiques, etc. Bien sûr, je ne suis pas seule. Mais c’est tout de même une lourde charge.

Cette année, notre salariée a proposé un nouvel atelier : le mécameuf ! Cela venait de discussions avec notre monsieur répare-tout, Raymond, où elle se rendait compte qu’elle aimerait beaucoup en savoir plus sur la mécanique automobile… et peut-être que d’autres étaient dans son cas ?

Ici, c’est simple, on en a besoin, alors on le fait ! Ni une, ni deux, Juliette propose autours d’elle cet atelier, animé par Raymond, pour s’améliorer collectivement. Un premier atelier se monte, avec succès. Beaucoup de retours positifs, les participantes sont ravies. Certaines n’ont pas pu venir à cette session et demandent s’il est possible de créer un deuxième groupe.

C’est justement le moment d’envoyer une newsletter pour annoncer nos activités du mois. Et si on rajoutait un évènement Mécameuf pour voir s’il y a d’autres intéressées ? Rédiger une newsletter est très fastidieux et chronophage. Il faut trouver des illustrations pour chaque évènement, rédiger un texte très court sur la newsletter, créer un évènement sur le site internet, rédiger un texte plus long sur le site internet, etc. Au bas mot, 20 à 30 minutes par évènement, parfois plus. Multiplié par le nombre d’évènements, ça fait beaucoup.

Malheureusement, nous n’avons pas pris de photo lors du dernier Mécameuf. Juliette cherche donc une illustration. Elle n’en trouve pas de vraiment bien, toutes les photos font un peu publicité. Elle en choisit une malgré tout car il faut bien que la newsletter parte. Cette photo représente une jeune et jolie femme, blonde, qui fait de la mécanique sur une voiture. Elle envoie la newsletter pour relecture. Personnellement, je ne fais aucun retour sur cette photo, pour moi c’est juste une illustration bateau parce qu’il fallait bien mettre quelque chose et ça n’a pas beaucoup d’importance. L’important, c’est l’atelier.

La photo en question : une jeune femme blonde, maquillée, en tenue de travail, qui pose pour la photo, en train de faire de la mécanique auto.

La newsletter part, et là, les premiers retours arrivent. Le premier, celui d’un homme que j’apprécie, nous signale que cette image n’est peut-être pas appropriée et le texte le gène également. Je lui réponds courtoisement qu’on va essayer de prendre ça en compte mais qu’on est débordées et que s’il a des propositions concrètes à nous faire, un visuel à nous envoyer ou une proposition de reformulation pour le texte, ce serait très aidant. Sa réponse est toujours courtoise, mais avec des injonctions sans proposition concrète. Je décide de ne pas répondre.

Un deuxième mail arrive, complètement surréaliste. Un mail court, agressif, plein d’injonctions venant d’un personne dont on n’a jamais entendu parler. Je me sens sous le choc, en colère, blessée. Comment une personne qui ne connaît rien de ce que nous vivons peut se permettre d’envoyer lâchement ce type de courriel ?

Et cette personne se revendique du féminisme ? C’est ça le féminisme, faire des injonctions à des femmes qui en subissent déjà bien assez ? Où sont passées la sororité et la bienveillance ? N’a-t-on pas le droit simplement de faire de son mieux ? Est-ce que faire de manière imparfaite n’est pas mieux que de ne rien faire ?

Comprenons-nous bien, la critique, si elle n’est pas toujours facile à recevoir, n’est pas un problème en soi. On peut toujours s’améliorer, se remettre en question et c’est un travail que nous effectuons tous les jours. Recevoir des conseils est aidant, recevoir des injonctions ne l’est pas.

Après ces retours, je m’interroge de plus en plus sur cette photo. Qu’est-ce qui dérange au fond ? Certes, cette femme pose pour la photo, mais son geste technique est bon, certifié par notre formateur. Certes elle est jolie et apprêtée. Et alors ? La mécanique serait-elle réservée aux femmes peu féminines couvertes de cambouis ? Je m’interroge sur ma propre vision de moi-même et des autres. Moi aussi, comme d’autres, quand je vois cette photo « je n’y crois pas ». Comme si une jolie femme ne pouvait pas faire de la mécanique. Comme si le maquillage excluait le cambouis.

À titre personnel, j’aime l’image que j’ai de moi-même quand je suis en tenue de travail. Je me sens forte, « une vraie femme ». C’est une image de moi que j’aime beaucoup. Mais parfois, même moi qui suis peu portée sur la mode et tous les aspects vestimentaires, j’aime à être féminine. J’aime aussi cette autre partie de moi. Et ce n’est pas irréconciliable.

Et autour de moi, je vois d’autres femmes, des femmes qui n’aimeraient probablement pas être vues en tenue de travail pleines de cambouis. Des femmes qui soignent beaucoup leur apparence, qui accordent les couleurs entre elles dans leurs tenues, se maquillent ou portent des bijoux.

Alors je me questionne. En portant un jugement sur cette photo, n’interroge-t-on pas la question de la féminité et du féminisme ? Que penserait une femme très féminine de cette photo ? Est-ce qu’elle s’y reconnaîtrait et se dirait « pourquoi pas moi ? » ?

Au fond tout cela pose la question du public visé. Dans les milieux féministes très militants, je n’ai pas trop de doute que des personnes puissent s’organiser ensemble pour faire ce genre d’atelier, peut-être même qu’il est possible de trouver une formatrice femme au lieu d’un homme. Mais pour les autres, les codes ne sont pas les mêmes, et ces ateliers leurs sont tout aussi utiles.

Il est difficile de trouver une communication qui plaise à toutes et tous. En écoutant les critiques, une part de moi a envie d’essayer de faire au mieux, de trouver les mots qui puissent toucher pareillement une retraitée native du territoire, une féministe chevronnée, une femme très féminine, une femme qui ne se revendique pas du féminisme mais qui a simplement envie d’être plus autonome. Toucher toutes ces femmes, et avancer, petit pas à petit pas, vers une émancipation individuelle et une plus grande autonomie collective. Mais le ressenti n’est pas le même pour toutes. Je n’ai eu à lire que ces quelques mails. D’autres ont eu plus : plusieurs discussions avec plusieurs personnes différentes. Pas toujours agréables. Au final, cela fait beaucoup. Alors l’association a pris la décision de mettre le holà. En répondant de manière un peu cinglante, pour ne pas que cela se reproduise. Parce qu’il n’est pas normal de se faire agresser quand on a le malheur de faire quelque chose qui n’est pas parfait. Pour clôturer une fois pour toutes le débat. Je n’y suis pas très favorable, j’ai peur que cela entache notre image, mais j’entends le besoin de mes camarades de dire stop. Alors, je propose d’arrondir quelques angles et c’est parti pour la publication.

J’écris cet article aujourd’hui car j’ai des retours. De nombreuses personnes parleraient de cette réponse, de manière négative. Cela propagerait une mauvaise image de l’association pour laquelle je me décarcasse, parfois en atteignant presque mes limites. C’est lourd de recevoir ces retours, mais c’est précieux aussi, quand c’est dit de manière bienveillante.

Et c’est parti pour une nouvelle remise en question. Est-ce que j’ai bien fait de laisser mes camarades publier cet article ? Est-ce que j’aurais dû les en dissuader pour le bien de l’association ? Mais notre bien à nous, ne prévaut-il pas ? Si cette publication devait se faire sous cette forme, c’était pour ne pas se laisser écraser, et affirmer qu’on a bien le droit d’essayer de faire, même si ce n’est pas toujours parfait.

Je me pose encore des questions sur la condition de femme. Si j’avais écrit cet article seule, j’aurais pris soin de ne froisser personne, et j’aurais, comme une bonne femme, bien soumise, pris en compte tous les retours, même ceux fait de manière agressive. Mes camarades, elles, se sont fait suffisamment marcher sur les pieds pour ne plus pouvoir le tolérer. Je les admire, parfois. Elles disent stop, méchamment, pour ne plus jamais qu’on les fasse chier.

Mais est-ce la bonne méthode ? N’y a-t-il pas, quelque chose, entre les deux ? Un intermédiaire entre « hystérique » et « soumise » ? Mais là c’est pareil. Soit on inverse la domination et on se comporte comme un homme : quid des autres personnes qui sont aussi des femmes qui subissent les mêmes préjugés que nous ? Soit on s’aplatit et on s’excuse, on prend tout sur soi et on fait toujours au mieux : quid du respect de soi ? Soit on prend en compte mais on dit que quand même, il y des manières de dire les choses et qu’il ne faut pas faire n’importe quoi. Peut-être aurait-ce été la bonne voie, mais là encore, cela paraît un peu mou, comme si on avait quand même le droit de nous rouler dessus. C’est aussi beaucoup ce que l’on attend des femmes, arrondir les angles, s’effacer.

Finalement, c’est comme s’il n’y avait pas de bonne manière de faire, ou en tout cas, je n’en ai pas trouvée. Tout ça pour ça. Je me demande si les hommes s’embarrassent de ce genre de réflexions. Je ne pense pas.

J’ai écrit cet article dans l’espoir de susciter des réflexions chez mes lectrices (et peut-être même chez mes lecteurs). Pour moi, faire reste le plus important. Il est plus important d’essayer, de faire imparfaitement, que de ne pas faire. Petit à petit, bouger les lignes.

Aujourd’hui, j’ai participé à 3 mécameufs, j’ai appris plein de choses et je suis trop contente. Je ressens de l’excitation à l’idée d’apprendre encore tant d’autres choses, sur le plan théorique comme sur le plan pratique. Je ne me sens plus comme une poule devant un couteau quand il faut démonter une roue de voiture, je commence à comprendre le fonctionnement d’un moteur, d’une direction, j’apprends le nom des différentes pièces et leurs fonctions. La route est encore bien longue, mais j’avance.

PS : Je suis la principale modératrice de ce site internet et je me réserverai le droit de ne pas publier les commentaires insultants ou agressifs. Vous l’aurez compris, je n’aime pas ça ;)


Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *