Les arpentages : sacrifier des livres pour sauver le monde

Image représentant un livre en train de se faire découper pendant un arpentage

Peut-on dire que déchirer des livres va dans le sens d’un monde meilleur ? Quand je parle de mes arpentages, la première réaction des personnes, c’est le choc. Les livres sont sacrés, apprend-on, il faut y faire attention et en prendre bien soin : je suis la première à tenir ce discours à mes enfants. Mais est-ce le livre qui est important ou ce qu’il contient ? Lors des arpentages, on découpe un livre, certes, mais pour mieux se le partager. Chaque participant·e lit une partie du livre, puis un partage se crée autour de la lecture de chacun·e.

13% des livres transportés par les distributeurs vers les points de vente finissent au pilon

Syndicat National de l’Édition – Étude sur les tonnages de livres transportés dans l’édition : retours, pilon et recyclage (2021-2022)

Une autre pensée qui vient souvent, c’est celle de l’écologie. Les livres, c’est du papier et déchirer un exemplaire d’un livre, c’est le gâcher : personne ne pourra le relire ! Il est difficile de trouver des statistiques sur le nombre de livres relus ou prêtés parmi ceux achetés, mais je dois me rendre à l’évidence : quand je pense aux livres de ma bibliothèque, moins de la moitié ont déjà été relus ou prêtés, il y en a que je n’ai encore jamais lus et d’autres que je ne lirai probablement jamais. Et encore, on ne pense ici qu’aux livres qui ont été achetés : tous n’ont pas cette chance. Les chiffres du syndicat national de l’édition de mise au pilon de livres en 2021 et 2022 sont édifiants : 25000 tonnes de livres par an vont au pilon soit… 13 % du flux1 ! Les quelques livres sacrifiés lors des arpentages sont bien peu de choses en comparaison.

Lire à plusieurs, c’est aussi pouvoir s’attaquer à des livres qu’on n’oserait pas lire seul·e.

Bon, mais alors, on pourrait pas lire le livre chacun de son côté ? Qu’est-ce que ça apporte de lire ensemble ? Pour répondre à ces questions, il faut revenir aux origines des arpentages. Tout commence à la fin du XIXème siècle, dans les cercles ouvriers2. À l’époque comme de nos jours, il est difficile quand on n’a pas fait beaucoup d’études de s’approprier le contenu des livres. On a l’impression que ce n’est pas fait pour nous, que c’est trop compliqué, qu’on ne peut pas comprendre. Découper le livre, c’est aussi symbolique : désacraliser le livre, car c’est son contenu qui est intéressant. Une fois découpé, un livre n’est plus si impressionnant : de simples feuilles de papier. Lire à plusieurs, c’est aussi pouvoir s’attaquer à des livres qu’on n’oserait pas lire seul·e.

Lire en même temps, c’est aussi une occasion unique de pouvoir toutes et tous parler d’un livre qu’on vient juste de lire. Essayer de le comprendre ensemble, mais aussi croiser nos avis. Pour celles et ceux qui sont à l’aise pour prendre la parole en groupe, apprendre à écouter et laisser de la place aux autres. Pour les plus timides, prendre confiance en son avis et l’exprimer dans un cadre sécurisant. Quand on n’a pas lu beaucoup de livres, qu’on n’a pas fait de longues études, on peut croire que nos avis ne vaut pas grand chose. Mais les expériences vécues par chaque personne ont aussi de la valeur : ce sont les savoir chauds. C’est ce mélange des savoir froids d’un livre et chauds de l’expérience de vie des participant·es qui fait toute la richesse des arpentages.

Ce que je préfère dans les arpentages, c’est m’offrir un moment hors du temps. Même en campagne, il y a tant à faire qu’il est difficile de se trouver des moments pour réfléchir en groupe sur le monde qu’on souhaite voir advenir. Se payer le luxe de débattre sur des sujets de fonds, de prendre des temps de lecture, de créer du lien et d’échanger avec des personnes aux vécus et idéaux différents des miens. Voilà pourquoi, pour moi, s’autoriser à déchirer des livres c’est s’autoriser à changer le monde !

  1. https://www.sne.fr/actu/etude-sur-les-tonnages-de-livres-transportes-dans-ledition-retours-pilon-et-recyclage-2021-2022/ ↩︎
  2. https://www.socialter.fr/article/arpentage-education-populaire ↩︎

Commentaires

Une réponse à “Les arpentages : sacrifier des livres pour sauver le monde”

  1. […] Pour lire un livre à plusieurs, on peut le découper en morceaux puis le restituer en groupe. C’est le principe d’un arpentage, comme on vous en parlait déjà dans cet article. […]

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